Le tigre blanc de l’Arctique

Texte écrit par Maurice équipier de la croisière d’août 2022 au Spitzberg

L’inspiration de cette histoire fictive lui est venu du dessin de tigre blanc réalisé par Raphaël (4 ans). Notre petit matelot avait préparé cette surprise pour Maurice et Géraldine et l’avait posé dans leur cabine avant leur arrivée à bord.


En cette fin de journée, nous étions heureux de nous mettre à l’abri. Il pleuvait depuis que nous avions quitté le bateau. Autour de nous des brumes en lambeaux parcouraient la lande en tous sens, une succession de lourds nuages gris voilaient l’horizon, rien ne venait plus séparer le ciel de la terre.

Le temps d’ouvrir la porte du Mellageret (1) qu’une bourrasque de vent mêlée d’eau glacée en profitait pour s’y engouffrer. La plupart des regards qui se braquèrent sur nous, étaient tous plus perçant que le vent de l’Arctique.

C’est lui qui dut nous apercevoir le premier. Tout au fond de la salle, plongé dans la pénombre, le vieil homme se tenait là, à l’écart, reclus, voûté sur un baluchon de fourrures, son fusil adossé au mur. Il venait de tirer du haut de sa botte une longue pipe pour en vider dans sa bouche le tabac du fourneau, la cendre le faisait saliver. Avec un plaisir animal, lentement, il en faisait tanguer la chique de sa langue noircie. Son visage, brûlé par la neige, donnait à sa peau les allures d’une vieille écorce tannée par les vents. Il se dégageait de lui un charisme presque hypnotique.

Il nous fit un signe.

— Ulaakut ! (2)

Avec un petit salut de la tête, nous répétâmes.

—Ulaakut !

Ulaakut, le seul mot que Denise, la lettrée du groupe avait réussi à nous apprendre.

Sans bouger, il nous invita à nous asseoir à ses côtés.

Jacques commanda une tournée de Isbjorn (3)

Le regard immobile sa pupille jaune sale fixait un monde auquel nul n’avait plus accès. Il tira une feuille de papier jauni d’une poche de sa parka. L’œil crépitait avec la joie d’un chercheur d’or exhibant sa fortune.

Il déplia la feuille sur la table avec une infinie précaution. C’était un dessin, celui que jadis un petit garçon lui avait donné dit-il : un magnifique Tigre blanc sur fond bleu.

À mi-voix, le vieil homme s’adressa à nous :

Vous savez ce que ce dessin raconte? :

C’est l’histoire de nos ancêtres, la légende, relate que notre monde fut un jour, plongé dans une obscurité totale. Aucun soleil ne venait en diluer les ombres. Plus aucune lune ne se levait pour éclairer le rêve des enfants. Après ce jour-là ; il n’y eut plus de jour et inlassablement, les nuits succédèrent aux nuits.

Puis marquant une pause comme pour nous dire, voici l’essentiel. Son visage s’anima.

La neige qui se ruait sur le sol sans discontinuer, mis peu de temps à effacer mers et montagnes, tout disparaissait sous d’immenses étendues glacées. La végétation déclinait, les animaux privés de nourriture dépérissaient, même les hommes ne pourraient plus échapper à la mort. Le monde allait s’éteindre… Les derniers anciens qui subsistaient, ont raconté avoir vu surgir par-delà l’horizon un fantastique tigre blanc, les rayures ondoyantes de son pelage parcouraient le ciel en tous sens en se perdant dans la nuit. Il finit par s’allonger sur le sol, couvrant de tout son corps la lande et les montagnes. Nul ne sait le temps qu’il resta ainsi, immobile. Quand il se releva. Le jour se disputait à la nuit dans un mélange de lueurs et d’obscurité. Des montagnes de pierres noires avaient surgi du sol, entrecoupées d’immenses langues de glaces blanches, qui se perdent encore dans la mer pour alimenter la vie.

Toutes les six lunes, l’esprit du tigre vient diluer la nuit. L’âme du tigre est toujours parmi nous, c’est le blanc qui s’oppose au noir, c’est l’âme de nos contraires.

Écoutez-là gronder, claquer, éparpiller ses blocs de glace qui crépitent et se perdent avant de refaire surface . Ils errent comme les nuages blancs dans le ciel, ils portent la mémoire des neiges d’antan.

François l’interrompant :

Et l’enfant du dessin ? Vous le connaissiez !

Non, je ne l’ai plus jamais revu. Il était très curieux et posait beaucoup de questions. Il doit être grand maintenant ! J’espère qu’un jour son chemin le conduira à recroiser le mien.

Et avec un demi-sourire :

Un peu comme le vent vous a poussé dans ce bar.

Ainsi pourrait se terminer l’histoire du Tigre blanc de Raphaël il a façonné les paysages du Svalbard en leur donnant ce pouvoir magnétique et qui nous a tellement bouleversés.

Épilogue :

Moi, ce qui m’a poussé dans ce bar pensait Lucas, c’est de me mettre au chaud avec une bonne bière…

Bon les gars ! Il faut y aller… Il va bientôt faire nuit, Emmanuelle nous attend, elle va s’inquiéter.

(1) « Mellageret » Café du bout du monde

(2) Bonjour

(3) Bière locale

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